Les divorces franco-algériens : aspects de droit algérien et de droit international privé

Formation pour la Commission PARIS-ALGER du Barreau de Paris

Présentation des aspects de droit interne algérien du droit divorce
par Chems-eddine Hafiz

Avocat au barreau de Paris
Responsable de la commission Paris-Alger

Présentation des aspects de droit international privé (compétence juridictionnelle / loi applicable)
par Alain Devers
Avocat au barreau de Lyon
Maître de conférences à l’Université de Lyon (Lyon 3)

Mardi 5 novembre 2013, 9h-12h
Salle Gaston Monnerville
Maison du Barreau
2 rue de Harlay
75001 Paris

Un compte rendu de cette formation est paru dans le quotidien El moudjahid et l’Expression.

En résumé :

L’introduction en France d’une procédure de divorce franco-algérien impose de résoudre successivement deux questions : la première est relative à la compétence directe des juridictions françaises (1) et la seconde est relative à la loi applicable devant le juge français (2). Ces questions échappent à la convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l’exequatur et à l’extradition pour relever de règles le plus souvent européennes [1].

I. Vérification de la compétence des juridictions françaises

En matière internationale, la compétence du juge aux affaires familiales français doit être morcelée et évaluée demande par demande. La convention franco-algérienne ne comportant aucune règle de compétence directe, il convient de faire application des règles européennes de compétence qui constituent désormais les règles de droit commun.

A. Principe du divorce

S’agissant du prononcé du divorce, la compétence du juge français est déterminée sur la base du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (ci-après le règlement Bruxelles II bis : entrée en vigueur le 1er mars 2005).

Le règlement II bis s’applique quelle que soit la nationalité des époux. La Cour de cassation a ainsi censuré une décision ayant refusé d’appliquer le règlement Bruxelles II bis pour évaluer la compétence du juge français du divorce s’agissant d’un couple franco-algérien marié au Maroc (Cass. 1re, 10 octobre 2012, n° 11-12621).

Le juge français est compétent pour statuer sur le principe du divorce :
– lorsque les époux sont de nationalité française (règl. Bruxelles II bis, art. 3, § 1, pt b)
ou
– lorsque se trouve sur le territoire français (règl. Bruxelles II bis, art. 3, § 1, pt a) :
– la résidence habituelle des époux, ou
– la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou
– la résidence habituelle du défendeur, ou
– en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou
– la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou
– la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est français.

S’agissant des conséquences du divorce (compensation du divorce et intérêts patrimoniaux des époux), le règlement Bruxelles II bis n’est en revanche pas applicable. En effet, en préambule, il précise que « les obligations alimentaires sont exclues du champ d’application du présent règlement car elles sont déjà régies par le règlement (CE) n° 44/2001 » du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (règl. Bruxelles II bis, préambule, cons. 11). Le règlement Bruxelles II bis écarte également de son champ d’application « les effets patrimoniaux du mariage » (règl. Bruxelles II bis, préambule, cons. 8).

B. Conséquences du divorce

1. Compensation du divorce

S’agissant de la compensation du divorce (la « prestation compensatoire »), la compétence du juge français est déterminée sur la base du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (ci-après règlement (CE) n° 4/2009 sur les obligations alimentaires : applicable à compter du 18 juin 2011).

Comme le règlement II bis, le règlement (CE) n° 4/2009 sur les obligations alimentaires s’applique quelle que soit la nationalité des époux.

Le juge français est compétent pour statuer sur la compensation du divorce :
– lorsque se trouve sur le territoire français (règl (CE) n° 4/2009, art. 3, pts a et b) :
– le lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou
– le lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou
– lorsque le juge français est compétent pour statuer sur le principe du divorce, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties (règl (CE) n° 4/2009, art. 3, pt c).

Compétent sur la base du règlement Bruxelles II bis pour statuer sur le principe du divorce, le juge français sera le plus souvent compétent sur la base du règlement (CE) n° 4/2009 sur les obligations alimentaires pour statuer sur la compensation du divorce.

2. Intérêts patrimoniaux des époux

La liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux n’entrent dans le champ d’application ni du règlement Bruxelles II bis ni du règlement (CE) n° 4/2009 sur les obligations alimentaires. De même, le règlement (CE) n° 44/2001 » du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après le règlement Bruxelles I) exclut de son champ d’application « les régimes matrimoniaux » (règl. Bruxelles I, art. 1, § 2, pt a). En l’état, il n’existe donc aucune règle européenne de compétence en matière de régimes matrimoniaux. La situation pourrait évoluer si venait à être adoptée la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux (COM(2011) 125 final, du 16 mars 2011).

En l’absence de règle européenne de compétence, la compétence du juge français résulte – dans un premier temps – de l’extension de la règle de compétence territoriale interne de l’article 1070 CPC.

Il en résulte que le juge français est compétent pour statuer en matière de régimes matrimoniaux lorsque se trouve sur le territoire français :
– la résidence de la famille ;
– si les parents vivent séparément, la résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale, ou la résidence du parent qui exerce seul cette autorité ;
– dans les autres cas, la résidence de l’époux défendeur.

A défaut d’être compétent en vertu de l’extension de l’article 1070 CPC, le juge français peut encore être compétent sur la base des articles 14 et 15 du Code civil : en tant que juge de la nationalité française de l’époux demandeur ou de l’époux défendeur.

II. Détermination de la loi applicable

La convention franco-algérienne ne comportant aucune règle de conflit de lois, il convient là encore de faire application des règles européennes qui constituent désormais les règles de droit commun.

A. Principe du divorce

S’agissant du prononcé du divorce, la loi applicable est déterminée sur la base du règlement (UE) n° 1259/2010 du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (ci-après le règlement Rome III : applicable à compter du 21 juin 2012).

Comme le règlement II bis et le règlement (CE) n° 4/2009 sur les obligations alimentaires, le règlement Rome III s’applique quelle que soit la nationalité des époux. Il précise d’ailleurs qu’il a un « caractère universel, c’est-à-dire qu’il devrait être possible, en ce qui concerne ses règles uniformes de conflit de lois, de désigner la loi d’un État membre participant, la loi d’un État membre non participant, ou la loi d’un État non membre de l’Union européenne » (règl. Rome III, préambule, cons. 12 et art. 4).

En vertu du règlement Rome III, les couples franco-algériens peuvent conclure des conventions de choix de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (règl. Rome III, art. 5).

La loi choisie par les époux peut être :
« a) la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention; ou
b) la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention; ou
c) la loi de l’État de la nationalité́ de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention; ou
d) la loi du for. »

À défaut de choix de la loi applicable conformément à l’article 5, le divorce est soumis à la loi de l’État :
« a) de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut,
b) de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux résidé encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut,
c) de la nationalité́ des deux époux au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut,
d) dont la juridiction est saisie » (règl. Rome III, art. 8).

La loi algérienne peut ainsi être applicable en France au divorce d’époux algériens ou franco-algériens. Comme l’a montré Me Chems-eddine HAFIZ, le droit algérien du divorce réserve certaines causes de divorce à l’homme (art. 48 du Code de la famille algérien) et d’autres à la femme (art. 53 et 54 du Code de la famille algérien). La question se pose de savoir si le droit algérien est, sur ce point, conforme à l’article 10 du règlement Rome III. Il prévoit, en effet, que « lorsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 (…) n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce ou à la séparation de corps, la loi du for s’applique ». Le jeu de l’article 10 pourrait ainsi conduire à écarter en France la loi algérienne au profit de loi française qui offre aux époux les mêmes causes de divorce. Une telle solution serait regrettable : « par là même, on constate que la promotion d’une égalité absolue des sexes supprime l’esprit de relativisme et de compréhension des systèmes étrangers attaché au droit international privé. Cette évolution conduira à prononcer des divorces sur le fondement de la loi du for au motif que le droit étranger désigné est abstraitement inégalitaire, y compris lorsque son application aurait conduit à un résultat identique (par exemple un divorce pour faute prononcé au profit d’une épouse). Ce lex forisme sans nuance fait fi de l’idée qu’un divorce prononcé sur le fondement de la loi étrangère commune aux époux a plus de chance d’être reconnu dans leur pays d’origine » (A. DEVERS et M. FARGE, Le nouveau droit international privé du divorce . – À propos du règlement Rome III sur la loi applicable au divorce : JCP G 2012, doctr. 778, n° 28).

B. Conséquences du divorce

1. Compensation du divorce

S’agissant de la compensation du divorce (la « prestation compensatoire »), la loi applicable est déterminée sur la base du règlement (CE) n° 4/2009 sur les obligations alimentaires (applicable à compter du 18 juin 2011).

Sans résoudre lui-même le conflit de lois, il précise que « la loi applicable en matière d’obligations alimentaires est déterminée conformément au protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires (ci-après dénommé « le protocole de La Haye de 2007″) pour les États membres liés par cet instrument » (règl. (CE) n° 4/2009, art. 15).

Quant à lui, le protocole de La Haye de 2007 prévoit que « sauf disposition contraire du Protocole, la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires » (protocole de La Haye de 2007, art. 3 § 1). Ainsi, lorsque l’épouse qui réclame une compensation du divorce réside habituellement en France, la loi française est applicable et il s’agit d’une demande de prestation compensatoire.

Pour échapper à la loi française de la résidence habituelle de l’épouse, le mari peut invoquer le bénéfice de la clause échappatoire de l’article 5 du protocole de La Haye de 2007 : « en ce qui concerne les obligations alimentaires entre (…) des ex-époux (…), l’article 3 ne s’applique pas lorsque l’une des parties s’y oppose et que la loi d’un autre État, en particulier l’État de leur dernière résidence habituelle commune, présente un lien plus étroit avec le mariage. Dans ce cas, la loi de cet autre État s’applique ». Il faut alors démontrer que cette autre loi – la loi algérienne – présente un lien plus étroit avec le mariage que la loi française de la résidence habituelle de l’épouse.

2. Intérêts patrimoniaux des époux

S’agissant des intérêts patrimoniaux, la loi applicable est déterminée sur la base de la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux (applicable aux époux mariés à compter du 1er septembre 1992).

Ce texte impose de raisonner en deux temps.

Premier temps : le régime matrimonial est soumis à la loi interne désignée par les époux avant le mariage (conv. La Haye 1978, art. 3).

Cette loi peut être :
1. la loi d’un Etat dont l’un des époux a la nationalité au moment de cette désignation ;
2. la loi de l’Etat sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habituelle au moment de cette désignation ;
3. la loi du premier Etat sur le territoire duquel l’un des époux établira une nouvelle résidence habituelle après le mariage.

À défaut de choix de la loi applicable conformément à l’article 3, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat sur le territoire duquel les époux établissent leur première résidence habituelle après le mariage (conv. La Haye 1978, art. 4, al. 1). Toutefois, dans certaines hypothèses particulières, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat de la nationalité commune des époux (conv. La Haye 1978, art. 4, al. 2). À défaut de résidence habituelle des époux sur le territoire du même Etat et à défaut de nationalité commune, leur régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, il présente les liens les plus étroits (conv. La Haye 1978, art. 4, al. 3).

Second temps : au jour de la procédure de divorce, il convient de s’assurer que la loi initialement applicable l’est encore, autrement dit qu’aucune mutation de la loi n’est survenue. La convention de La Haye de 1978 envisage deux cas de mutabilité de la loi applicable au régime matrimonial : la mutabilité volontaire de l’article 6 (qui a un caractère rétroactif) et la mutabilité automatique de l’article 7 (qui n’a pas un caractère rétroactif). Les époux ont pleinement conscience de la première alors que la seconde se produit sans qu’ils en aient connaissance.

S’agissant de la mutabilité automatique, elle s’applique aux époux qui n’ont ni désigné la loi applicable, ni fait de contrat de mariage. La loi interne de l’Etat où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable, aux lieu et place la loi initialement applicable à leur régime matrimonial :
« 1. à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si la nationalité de cet Etat est leur nationalité commune, ou dès qu’ils acquièrent cette nationalité, ou
2. lorsque, après le mariage, cette résidence habituelle a duré plus de dix ans, ou
3. à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si le régime matrimonial était soumis à la loi de l’Etat de la nationalité commune uniquement en vertu de l’article 4, alinéa 2, chiffre 3 ».

La Cour de cassation a ainsi récemment souligné que « il résulte des articles 4, 7, alinéa 2-1°, et 8 de la Convention de La Haye, du 14 mars 1978, sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, que lorsque les époux n’ont ni désigné la loi applicable, ni fait de contrat de mariage, la loi interne de l’Etat où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable à leur régime matrimonial, aux lieu et place de celle à laquelle celui-ci était initialement soumis, à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si la nationalité de cet Etat est leur nationalité commune, et, que ce changement de la loi applicable n’a d’effet que pour l’avenir, les biens appartenant aux époux antérieurement n’étant pas soumis à la loi désormais applicable » (Cass. 1re civ., 12 avril 2012, n° 10-27016 : Bull. civ. I, n° 90).

[1] La question de la reconnaissance et de l’exécution en France des décisions algériennes de divorce ayant été traitée par Me Chems-eddine HAFIZ, elle n’est pas évoquée ici.